L'ange de Roger McGowen
Bernard Montaud
Roger se recula sur sa chaise, songeur. Il lui revenait des souvenirs avec sa grand-mère, cette vieille femme qui l’éleva durant toute son enfance. Il nous confia combien tous ces moments précieux vécus auprès d’elle devenaient de plus en plus importants à ses yeux, au fil du temps. Il nous confia combien cette grand-mère était simple et peu cultivée, mais aussi combien elle était naturellement croyante et remplie d’une bonté sincère. Elle partageait tout avec les plus déshérités du quartier. Plusieurs fois par semaine, elle invitait à manger chez elle tous les clochards des alentours. Et quand elle faisait de la confiture, il fallait ensuite aller distribuer les pots à tous les nécessiteux, ce qui faisait toujours un peu honte à Roger.« Vous savez, dans la cuisine il y avait un tabouret plus important que les autres. Quand je rentrais de l’école en faisant la tête, elle me disait toujours : « Roger McGowen, pourquoi fais-tu triste mine ? Va t’asseoir sur le tabouret. Et demande à ton cœur ce qui t’arrive. Ton cœur sait toujours très exactement ce qui se passe. Il sait pourquoi tu n’es pas content. Il suffit de demander et il te répondra. »
Voilà sans doute la plus belle définition de l’ange que j’aie entendu. Si simple, si tranquille, si évidente et sans la moindre nécessité d’une quelconque explication intellectuelle ou mystique.
« Vers 12 ou 13 ans, continua-t-il, j’ai eu un petit travail dans un restaurant. J’allais chaque jour après l’école faire la plonge et ensuite je rentrais à la maison en prenant le bus. Mais un soir, j’ai été agressé par une bande de jeunes. Et ils m’ont pris tout mon argent. Je n’avais même plus de quoi payer le bus. J’ai donc décidé de rentrer à pied chez ma grand-mère. Il y avait au moins trois ou quatre kilomètres. Mais surtout un long tunnel à traverser, très sombre, et habité par plein de drogués, de junkies et de clochards. J’avais très peur de traverser ce tunnel, vraiment très peur.
« En arrivant à l’entrée du tunnel, soudain a surgi un très gros chien ! Je me suis jeté contre le mur, immobile, craignant qu’il ne me saute à la gorge. Et le chien s’est approché, intrigué, pour me renifler. À un moment, il m’a même léché la main, en signe de sympathie sans doute. Alors, tout doucement, j’ai recommencé à marcher, en surveillant le chien qui me suivait de très près. Je n’étais vraiment pas tranquille avec ce chien et tous ces pauvres gens que je croisais. Tantôt je guettais le chien derrière moi, tantôt je scrutais les intentions de tous ceux qui étaient allongés par terre dans ce maudit tunnel. Vraiment j’avais très peur. Et puis je suis arrivé sans encombre à l’autre bout du tunnel. Soulagé, en sortant j’ai repris ma marche plus rapide en jetant un coup d’œil derrière moi, pour voir où était le chien. Il avait disparu.
« En arrivant chez ma grand-mère, je lui ai tout raconté :
l’agression, ma peur de rentrer à pied, la traversée du
tunnel, et le chien pour compléter le tout. Et ma grand-mère
a soudain éclaté de rire en me disant : « Roger
McGowen, ce chien… c’était ton ange ! Un ange chien
qui est venu pour te garder… ton ange gardien ! Un point c’est
tout ! »
« Souvent aujourd’hui, dans le couloir de la mort, ma grand-mère
me revient à l’esprit. J’ai tant appris auprès d’elle
sans même m’en rendre compte. Elle a sauvé mon âme
sans doute, en m’enseignant une foi simple. Je n’appartiens vraiment à aucune
religion, ni à aucun mouvement spirituel. J’appartiens seulement à l’expérience
intérieure que peut faire chacun à tout moment : être
plus fort que la haine ! Être plus fort que ses peurs ! »
Quand, comme moi, on a parcouru la terre entière à la recherche
de ces grands hommes de cœur, de tous ces « sages » que
la vie spirituelle engendre parfois, on est soudain sidéré d’en
rencontrer un, de la plus belle espèce… ici, dans le couloir
de la mort !
Sacré Roger tout de même, capable de nous parler des anges, lui
qui habite en enfer !
Extrait du site pour le comité de soutien à Roger McGowen : www.rogermcgowen.fr