le Tout d'un Être
René Habachi
Nous ne savons jamais le tout d'un être...Une personne humaine est une ample demeure aux corridors inconnus, sa dimension
intérieure l’habite et creuse mystérieusement son intimité.
Nous ne savons jamais le tout d’un être, même le plus aimé,
surtout du plus aimé.
Au contraire, aimer c’est vouloir que l’autre soit une source inépuisable
de richesse et qu’à mesure que la part connue de sa personne se
fait transparente, la part de l’inconnu augmente et approfondisse de
nouvelles perspectives pour de nouveaux ravissements.
Il y a un mystère au cœur de tout amour comme de tout rapport
humain.
Quand les autres perdent à nos yeux leur mystère c’est que nous-mêmes avons perdu le nôtre. Aplatis que nous sommes dans nos gestes, nous mesurons les autres à leurs attitudes en les vidant de leur intériorité, et le désarroi des infiniment plats commence dès que cesse le dialogue des infiniment profonds.
Nous pouvons toujours douter d’un être, si nous ne nous décidons
pas à tirer de nous-mêmes une force de surcroît, un don
gratuit, un consentement qui recouvre l’abîme de son mystère.
Or cela s’accomplit spontanément en nous dès que nous faisons
crédit à la parole d’un autre, en toute occasion, en plein
jour. C’est cependant un rendez-vous dans la nuit, chacun éclairé seulement
par sa lumière intérieure, et par l’invitation de l’autre.
Extrait de "Commencements de la Créature"